En l’an 1867, André Leroy, illustre pomologue pépiniériste Angevin, écrivait à propos des ouvrages de
pomologie existants en son temps :

Comment lorsque le moins incomplet d’entre eux mentionne à peine 237 poiriers, 89 pommiers, 63
pêchers, 34 vignes, etc… comment ouvrir ces recueils avec l’espoir d’y puiser quelques renseignements sur
la majeure partie des 900 poiriers, des 500 pommiers, des 200 pêchers, et enfin des 500 vignes
qu’aujourd’hui l’on cultive en France ?

Nombres de variétés hallucinants pour nos contemporains, ces propos nous font prendre la mesure de
l’étendue des pertes colossales des variétés fruitières de 1867 à nos jours et surtout depuis la seconde
guerre mondiale.
Lors de mes déplacements à travers le Département de la Nièvre, un constat s’impose à moi : de nombreux arbres
parfois centenaires meurent et ne sont pas remplacés, les anciens vergers sont abandonnés ou arrachés
dans l’indifférence quasi générale, les variétés locales de poires et de pommes disparaissent les unes après
les autres.
Les prés vergers et vergers naguère si nombreux sont devenus rares, leur surface en Bourgogne a fondu
comme neige au soleil passant de 193 678 ha en 1929 à 2418 ha en 1982 puis 992 ha en 2003, -99,5% en
moins de 100 ans !
(Source : le pré-verger pour une agriculture durable, éditions Solagro, 2005.)

Combien en restera t-il demain si nous ne faisons rien pour replanter ?
Ces arbres plantés, parfois au 19 ème siècle pour les poiriers, par nos ancêtres conscients de l’apport que
procurait ces poiriers pommiers et pruniers pour ne citer que les plus connus, disparaissent peu à peu des
paysages, le remarque t-on ?
Les automobiles vont sûrement trop vite pour que l’œil rivé sur le compteur de vitesse ou l’écran de
navigation puisse capter ce qui à mes yeux est une perte inestimable.
Pourquoi ? Et bien, ce qui fait que nos paysages soient si agréables à l’œil, qui n’ont rien de naturel
d’ailleurs car ceux-ci furent façonnés par la main de l’homme au fil du temps, c’est cette trame de
végétaux variés indispensables à la qualité de notre environnement et à la bio-diversité de nos campagnes.
Lorsque ces majestueux poiriers (on peut faire le même constat pour les chênes) qui bordent les routes ou bien bornent les prés disparaissent, qui songe à les remplacer ? Pas grand monde je le crains car je ne connais pas
d’agriculteur ou d’éleveur qui spontanément prenne le temps de replanter une nouvelle génération de ces
fruitiers ou de chênes pour ses enfants ses petits enfants ou plus simplement pour le bien commun.


Combien de temps faudra t-il pour que la Nièvre ressemble à la Beauce où les parcelles de monocultures
immenses forment un bien triste paysage sans parler de la pauvreté de la faune et de la flore ?
Il fut un temps pas si lointain où il était obligatoire d’entretenir et de multiplier ces arbres.
Malheureusement le remembrement et l’exode rural sont passés par là, ne disait on pas lors de ce
remembrement : ”un kilomètre de haie arrachée c’est un hectare de terre à cultiver en plus”. Mauvais calcul
dont on mesure aujourd’hui les conséquences désastreuses sur les sols et sur la faune auxiliaire si utile
dans la protection des cultures de toutes sortes.


Plus personne ou presque ne sait greffer un arbre fruitier alors que par le passé dans chaque village ou
hameau c’était assurément une pratique très répandue et très économique pour multiplier les arbres à fruits
comestibles.
Beaucoup de nouvelles variétés de qualité furent trouvées dans les haies, conséquence des semis d’oiseaux
ou de rongeurs voire de l’homme jetant un trognon de pomme, de poire ou un noyau de prune après avoir
consommé son fruit , chose quasi impossible de nos jours vu la façon dont sont rabotées les haies par les
machines sans distinction aucune.
Aujourd’hui, il est si pratique de s’approvisionner au supermarché du coin qu’on en oublie la belle pomme
du vieux verger à deux pas de chez soi qui pourtant mérite que l’on s’y intéresse, cette pomme qui nous vient parfois d’une époque lointaine, servies à la table du Roi Louis XIV pour certaines, et qui possède des
qualités gustatives et une teneur en antioxydants très supérieures aux pommes du commerce élevées à
grand renfort de traitements chimiques (20 à 30 par an), gavées d’eau et souvent très sucrées pour flatter le
palais à force de croisements répétés avec les mêmes variétés souvent étrangères ( exemple : Golden
Délicious ,USA).


L’ industrie chimique n’a que faire des fruits résistants aux maladies comme certaines de nos vieilles
variétés, pas fous les gars, ils ne veulent pas fermer boutique et préfèrent promouvoir leurs variétés dites
modernes pour nous vendre le plan breveté et le traitement obligatoire qui va avec.

Alors oui, faire un effort pour sauvegarder nos paysages, nos fruits de terroir si bien adaptés aux conditions climatiques et au sol de notre Département et réserver un espace dans un jardin aussi petit soit- il ou replanter une haie fruitière en bordure de parcelle est l’affaire de tous.

Messieurs les agriculteurs, laissez un peu d’espace aux haies, les oiseaux (s’il en reste) sèmeront pépins et noyaux des fruits volés ici et là, les butineurs (ceux qui auront survécu aux pesticides, 80% des insectes auraient disparu !) se
chargeront ensuite de polliniser les fleurs et enfin nous pourrons déguster ces fruits oubliés pour peu que
nous soyons encore conscients de l’urgence de replanter et de protéger le patrimoine fruitier de la Nièvre.


Pascal LAFOND
Ex membre du G-R-E-F-F-O-N
Groupe pour la Renaissance des Espèces Fruitières et Forestières Oubliées de la Nièvre
affiliée aux ”croqueurs de pommes ®”